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Naissance d’une barrique

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Parmi les différents caractères qui permettent de définir un grand vin, qu’il soit de Bordeaux ou d’ailleurs, rouge ou blanc, sec ou liquoreux, il y a toujours la capacité à affronter le temps – jusqu’au temps long parfois de plusieurs décennies. Cette capacité est certes due au millésime, au terroir de naissance des raisins, à la culture de la vigne, et à la vinification elle-même. Mais elle s’acquiert aussi, techniquement, au cours d’une étape spécifique que nous nommons si justement élevage, et qui se déroule au sein et par le truchement d’un fût de chêne – dont le modèle le plus utilisé à Bordeaux se nomme barrique. 

Afin d’en savoir plus, au début de l’été, une escouade de globaliens (membres de l’équipe de « My Global Bordeaux ») a rendu visite à la tonnellerie Nadalié, installée à Ludon-Médoc au Nord de Bordeaux ( http://www.nadalie.fr ), pour y assister en direct aux différentes étapes techniques qui conduisent à la naissance d’une barrique – parmi lesquelles peuvent être extraites 4 moments-clés.

Deux ans, et deux siècles, pour un « merrain »

OLYMPUS DIGITAL CAMERAEn fait, la vraie première étape de la fabrication d’un fût se déroule loin de la tonnellerie, loin dans l’espace et loin dans le temps, au coeur de forêts de chêne françaises où depuis toujours le tempo est séculaire – et dont les plus réputées sont connues par leur nom de lieu (Tronçais, Jupille…). Dans ces forêts, environ deux siècles après que des glands aient commencé de germer, sont choisis chaque année des arbres que l’ont abat, que l’on débite et que l’on fend, pour obtenir des pièces rectangulaires de dimensions connues – que l’on appelle « merrain ». Et à ce stade, il est essentiel et techniquement nécessaire que le bois soit fendu et non scié, car le fendage suit le fil du bois, c’est à dire ses fibres – ce qui assurera ultérieurement l’étanchéité de la barrique. Livrés à la tonnellerie, ces merrains y sont arrangés en piles – où ils sont disposés pour permettre la meilleure aération possible, et ces piles entreposées dans un parc à bois, espace où le bois de chêne – bien davantage que d’être physiquement stocké – va lentement mûrir (sous les influences du soleil, du vent, de la pluie, de la chaleur, du froid, de la sécheresse, etc.), passant ainsi du blond à son arrivée au gris au moment d’être conduit vers son destin de fût… Et il s’agit bien d’une maturation, qui durant environ deux ans va entraîner – au sein du bois de chêne – la formation, sous l’influence des facteurs climatiques, de constituants qui interviendront aromatiquement et gustativement dans l’élevage du vin. En quelque sorte, avant que d’élever le vin, le bois lui-même aura été élevé.

Former la « rosette »

OLYMPUS DIGITAL CAMERATout le monde sait depuis les Gaulois, qui sont réputés l’avoir créé sinon inventé, que le tonneau est rond, ce qui permet de le rouler et de le stocker. Chaque type de fût ayant des dimensions bien précises (longueur, diamètre), il s’agira lors de la fabrication d’une barrique d’obtenir déjà la construction d’un objet cylindrique de diamètre constant, à partir de pièces de bois rectangulaires que l’on va juxtaposer et qui n’ont pas exactement la même largeur. C’est pourquoi, du rectangle plat qu’est le merrain on va d’abord passer, par usinages successifs, à la « douelle » au profil courbe. Puis, chaque douelle étant différente des autres, on va choisir les douelles pour les disposer côte à côte et à plat, de sorte que toutes les largeurs additionnées égalent le diamètre constant de la barrique à construire. Chaque arrangement de douelles est donc unique même si toutes les barriques ont le même diamètre, ce qui veut dire en quelque manière que chaque barrique est unique dans sa constitution. C’est alors que, passant de l’ordre de la droite à celui du cercle, on va ensuite placer ces douelles debout à l’intérieur d’un cerceau chargé de les maintenir en rond, en formant ce que l’on nomme en tonnellerie une « rosette » - où chaque douelle se verrait volontiers en pétale d’une fleur de chêne qui n’aurait dû son temps de vie fugace qu’à une imagination toute humaine…

La « chauffe » ou l’épreuve du feu

OLYMPUS DIGITAL CAMERAPuisque tout le monde sait depuis les Gaulois ce qu’est un tonneau, tout le monde sait aussi qu’un tonneau n’est pas un cylindre, et que sa forme présente un double courbure, horizontale et verticale. Si la courbure horizontale est obtenue par la formation de la rosette – arrangement de planches côte à côte, il n’en va pas de même pour la courbure verticale qui demande d’arrondir la planche de bois dans le sens de sa longueur, c’est à dire de courber les fibres extrêmement rigides du bois de chêne – fibres qui font le fil qui donnera l’étanchéité : il faut rendre le fil courbe sans risquer de le casser. Et le coup de génie, la trouvaille technique, c’est l’utilisation de la chaleur de la flamme, du feu – c’est la « chauffe »… On place la rosette au-dessus d’un brasero, alimenté par les chutes du même bois de chêne que celui qui la constitue, et progressivement – sous l’effet de la chaleur communiquée par le feu – la rigidité des fibres va momentanément s’assouplir, permettant de donner aux douelles cette forme courbe d’où naît vraiment le fût. Mais, si la chauffe a toujours été indispensable pour courber des fibres de bois sans les casser, elle est devenue désormais depuis un peu plus d’une trentaine d’années un acte majeur de la fabrication des fûts de chêne, parce qu’en étudiant de plus en plus précisément ce chauffage du bois par une flamme placée à proximité, on a observé puis mesuré combien le brûlage partiel qui l’accompagne inévitablement s’apparente à une cuisson de ce bois. Ainsi la chauffe, que l’on sait à présent raisonner, donne naissance sur quelques millimètres d’épaisseur à des constituants inexistants auparavant dans le bois de chêne, et qui vont ultérieurement intervenir aromatiquement et gustativement dans l’élevage des vins contenus dans ces fûts. Un peu comme si, élevé dans un fût de chêne, le vin y recevait nécessairement son baptême du feu…

« La noblesse est fille du temps »

OLYMPUS DIGITAL CAMERAMunie ensuite de ses deux fonds, la barrique voit sa fabrication technique achevée. Mais les fûts destinés à l’élevage des vins ne le sont plus du tout à leur transport, devenus progressivement et quasi exclusivement des lieux de stabulation et d’échanges où le vin évolue vers son état définitif – le conduisant à sa mise en bouteille. Ils sont donc manipulés le moins possible et avec beaucoup de précautions, à quoi s’ajoute un aspect esthétique lié au rangement des fûts dans un chai – et qu’il ne faut pas négliger. C’est pourquoi, un grand soin est pris concernant la finition de ces fûts comme objets – finition visuelle autant que tactile. Minutieusement peaufiné, chaque fût est enfin emballé dans un double habillage de carton et de film plastique qui l’accompagnera durant son propre transport jusqu’à sa destination finale d’utilisation – parfois lointaine à le conduire vers quelque antipode néo-zélandais.

Ainsi, de simple récipient à l’origine, la barrique s’est peu à peu muée – du moins lorsqu’il en est fait bon usage – en une sorte d’antre secret où le vin se complexifie et s’affine gustativement, s’y préparant à affronter l’épreuve magique et révélatrice du temps qui passe – à la seule aune duquel un jour il deviendra grand. Bien élevé, le vin dans la barrique s’augmente donc de temps – qu’il nous rend un jour en émotions. Par quoi les grands vins tiennent aussi de cette noblesse dont Chateaubriand disait qu’elle est « fille du temps »… 

Crédit photographique : Christopher Guichemerre


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